Haïti, j’étais là lorsque Duvalier est tombé. Mon beau-père avait une radio CB, je peux encore entendre les voix des gens appelant à l’aide, des domestiques disant qu’elles cachaient des enfants dans les coffres des voitures pour ensuite voir ces voitures incendiées.
Haïti, j’étais là lorsque Aristide a été renversé, puis rétabli, et renversé à nouveau. Je me souviens des images de personnes agenouillées dans les rues avec un pneu autour du cou, alors que le sillon était rempli d’essence puis mis à feu.
Haïti, j’étais là lorsque le séisme a frappé, je me souviens des appels frénétiques de ceux piégés sous les décombres, je me souviens des cris lorsque les proches apprenaient les décès. Je me souviens du courage, de la résilience, de la force et de l’amour.
Haïti, j’étais là lorsque le Président a été assassiné, je me souviens de la panique, du deuil et de la question sur toutes les lèvres : “que va-t-il se passer maintenant ?”. Je me souviens de tout.
Haïti, j’étais là pendant les pénuries de carburant et les émeutes de 2018, 2019, 2020, jusqu’en 2022… J’étais là. C’était à la fin de 2022 qu’une goutte a fait déborder le vase… Mon fils a eu une grave crise d’asthme et parce que les routes étaient bloquées, parce qu’il y avait des émeutes, parce que des pneus brûlaient, parce qu’il y avait une pénurie de carburant, parce qu’il n’y avait pas d’électricité, parce que son nébuliseur ne fonctionnait pas à l’air, il a failli mourir… c’était ma goutte d’eau et j’ai finalement quitté Haïti.
Quand ai-je commencé à écrire sur Haïti ? Je ne me souviens pas, mais cela fait plus de 15 ans, principalement en français ou en créole et c’était en Haïti. Je ne me souviens pas non plus quand les appels et les messages ont commencé, les grands noms de la politique voulant me rencontrer… mais je me souviens avoir reçu la photo de mon fils sur mon téléphone alors qu’il était en classe. J’ai aussi reçu ce message. Mais même alors, je suis resté.
Depuis 30 ans, depuis la chute de Duvalier, le refrain en Haïti a été pour tout leader élu de “démissionner pour que le pays puisse avancer” la seule chose qui s’est passée, c’est que nous avons avancé, certes, mais vers le bas. Chaque fois qu’il y a un problème, c’est parce que le gouvernement au pouvoir a déplu à l’opposition et des appels à son départ ont été lancés… à chaque fois.
J’en ai assez que les médias internationaux couvrent Haïti à distance, s’appuyant principalement sur des nouvelles locales biaisées ou des informateurs achetés et payés. La communauté internationale n’est pas meilleure, elle a pris des actions basées sur leur propre “vision” et expériences dans les pays du premier monde pour accéder, évaluer et imposer des mesures et sanctions en Haïti qui ont été absolument désastreuses.
Depuis 30 ans, il y a un groupe derrière chaque émeute et soulèvement en Haïti, et c’est l’opposition dite. Les membres vont et viennent mais c’est LE groupe derrière tous les bouleversements. Et pourtant, leurs membres restent pour la plupart intouchés, non sanctionnés alors que gouvernement après gouvernement échoue à cause de l’opposition.
Nos dirigeants n’ont pas été plus corrompus ou mauvais que tout autre gouvernement dans le monde. Il y a eu des incompétents, des incapables et des trop compétents qui ont perturbé le flux des vrais corrompus. Mais il est plus facile de blâmer… combien de gouvernements ? Pour le statut d’échec d’Haïti que de blâmer ceux qui ont des liens avec la communauté internationale et leurs gouvernements, n’est-ce pas ?
Maintenant que Haïti est dans un état de guerre civile non déclarée, vous voulez tous vous laver les mains. Mais beaucoup de cela est de votre faute ! et de votre fait ! Soit délibérément soit par ignorance je ne sais pas lequel et à ce stade je m’en fiche pas mal. Mais il est grand temps que vous nettoyiez votre désordre.
Muriel Vieux — The American Haitian Poet