Par [Amoureux de la sagesse,TEL :(509)3665-2094]
Le 18 mai, Haïti célèbre la création de son drapeau, symbole de liberté arrachée dans le sang et le feu par les esclaves insurgés de 1804. Mais cette année encore, la commémoration sonne creux. Le bleu et rouge flotte dans les rues, mais le sentiment d’une nation réellement libre s’efface peu à peu derrière l’ombre persistante des puissances étrangères. Les couleurs nationales semblent pâlir face aux injonctions de Washington, d’Ottawa ou de Paris. Dans les faits, la souveraineté haïtienne semble davantage une revendication symbolique qu’une réalité politique.
Un drapeau lourd d’histoire… mais vidé de sens ?
Depuis l’indépendance de 1804, première en son genre obtenue par une population d’esclaves affranchis, Haïti a toujours suscité méfiance, convoitise et ingérence. La dette de l’indépendance imposée par la France en 1825 – l’équivalent de dizaines de milliards de dollars actuels – en est une cicatrice encore ouverte. Aujourd’hui, deux siècles plus tard, beaucoup d’Haïtiens ont le sentiment de payer une seconde fois le prix de leur liberté.
« Le drapeau ne suffit pas à affirmer notre indépendance. Ce n’est pas une toile suspendue qui nous libère, mais la capacité à décider par nous-mêmes, pour nous-mêmes », lâche Marc-Antoine Pierre, professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’État d’Haïti.
Une souveraineté sous tutelle
Depuis plusieurs années, la politique haïtienne semble sous contrôle externe. Les grandes décisions – de la nomination d’un Premier ministre à la présence de forces armées étrangères sur le sol haïtien – sont souvent prises ou influencées dans les capitales occidentales. L’implication directe des États-Unis, du Canada et de la France dans la crise sécuritaire et institutionnelle actuelle s’accompagne d’une rhétorique d’assistance, mais cache mal une logique de mainmise.
Des gouvernements successifs, fragiles, parfois illégitimes, ont trouvé dans cette dépendance une forme de survie politique. Mais pour une partie croissante de la population, ces dirigeants ne sont plus que des marionnettes entre les mains de puissances qui défendent d’abord leurs intérêts géopolitiques et économiques.
Le prix caché de l’aide
À chaque crise, les mêmes mécènes internationaux promettent aide humanitaire et soutien logistique. Mais ces appuis ne sont jamais gratuits. Ils s’accompagnent de conditionnalités, de réformes imposées, de contrats attribués à des entreprises étrangères. L’interventionnisme, même déguisé, perpétue une logique de dépendance structurelle. « Haïti est devenue un laboratoire de l’ingérence moderne, où l’on teste les limites d’une indépendance nominale sous contrôle discret », estime un ancien diplomate onusien, sous couvert d’anonymat.
Le combat pour une vraie indépendance
Face à cette situation, des voix s’élèvent. Dans les universités, dans la diaspora, dans les rues, une nouvelle génération d’intellectuels, de militants et de citoyens exige une rupture. Pour eux, l’indépendance ne se limite pas à un souvenir glorieux, mais doit redevenir un projet national. Une lutte nouvelle, non pas contre une puissance coloniale unique, mais contre un système mondial qui perpétue des rapports de domination.
Certains comparent cette quête à celle de plusieurs pays africains, qui, après les indépendances formelles, ont entamé une seconde phase de décolonisation plus subtile : celle de l’économie, de la culture, des institutions.
Une souveraineté à rebâtir
Pour que le drapeau haïtien retrouve toute sa force, il ne suffit pas de le célébrer dans les discours. Il faut rétablir les fondements d’un État digne de ce nom, fondé sur la justice, la légitimité démocratique et l’intégrité. Cela implique aussi que les Haïtiens eux-mêmes – au pays et à l’étranger – s’engagent dans un sursaut collectif. Refuser les compromis faciles, dénoncer les arrangements imposés, et bâtir des alternatives durables.
Car une nation qui ne choisit plus ses dirigeants, qui ne contrôle plus ses politiques publiques, qui dépend d’aides extérieures pour assurer sa sécurité, n’est plus libre. Et un drapeau, aussi noble soit-il, ne peut masquer longtemps cette réalité.