Ce lundi matin, un climat de tension a enveloppé plusieurs zones de la capitale haïtienne. À l’origine : un appel à la grève générale lancé par Chrisla, figure controversée identifiée comme l’un des chefs de la coalition criminelle “Viv Ansanm”. Une initiative inattendue qui, au-delà de son origine sulfureuse, souligne l’impasse politique dans laquelle se trouve le pays depuis l’installation du Conseil présidentiel de transition (CPT).
Un Conseil présidentiel fantôme face à la crise
Mis en place en avril 2024 après la démission du Premier ministre Ariel Henry, le CPT devait incarner un nouveau départ. Composé de neuf personnalités issues de divers horizons politiques et de la société civile, ce Conseil avait pour mission principale de stabiliser le pays, restaurer l’ordre constitutionnel, et organiser des élections crédibles.
Un an plus tard, la désillusion est presque totale. Aucun cadre de sécurité n’a été établi, les discussions sur le processus électoral piétinent, et les membres du CPT sont accusés de s’enfermer dans des luttes d’influence internes, loin des réalités du peuple.
Selon un rapport publié récemment par le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), le Conseil a dépensé plus de 300 millions de gourdes en frais de fonctionnement, sans présenter aucun bilan concret. Pire, les activités gouvernementales sont pratiquement paralysées, les services publics réduits à néant, et l’insécurité s’est accrue dans des proportions alarmantes.
L’ironie d’un appel à la révolte lancé par un chef de gang
L’appel à la grève de Chrisla, bien que problématique en raison de son statut de chef de coalition criminelle, résonne dans un contexte de profonde exaspération populaire. Dans une déclaration circulant sur les réseaux sociaux, il affirme que le CPT est “inexistant”, “inutile”, et qualifie ses membres de “cambrioleurs légalisés”.
Ce langage, bien que violent, n’est pas sans écho dans l’opinion publique. De nombreuses voix, y compris dans la société civile et parmi les intellectuels haïtiens, dénoncent l’opacité des décisions du Conseil et son absence sur le terrain.
“Nous avons remplacé une élite corrompue par un groupe encore plus incompétent”, déclare une source universitaire ayant requis l’anonymat. “Le peuple n’a plus confiance dans aucune structure officielle.”
La communauté internationale prise au piège
En avril 2025, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) avait salué la formation du CPT comme un “progrès significatif vers la transition démocratique”. Mais aujourd’hui, la posture de la communauté internationale est de plus en plus critiquée, notamment pour son silence face à l’inaction du Conseil.
“Il ne suffit pas de soutenir une façade institutionnelle”, insiste Pierre Espérance du RNDDH. “Quand cette institution ne produit rien et continue de dépenser l’argent public, elle devient complice de la misère.”
Un pays au bord de l’effondrement
Les conséquences sont visibles dans tout le pays : l’accès à l’eau potable se dégrade, l’éducation est en ruines, et les hôpitaux, en manque de médicaments et de personnel, ne parviennent plus à faire face. Dans plusieurs quartiers populaires de Port-au-Prince, des barricades ont été érigées dès les premières heures de la grève.
Même si les motivations de Chrisla sont discutables — certains soupçonnent une tentative de manipulation politique en faveur de certains partis alliés à son groupe armé —, le fait qu’un criminel notoire puisse mobiliser la rue mieux que les autorités légales est un signal alarmant.
Vers une explosion sociale ?
L’avenir d’Haïti semble suspendu à un fil. Les institutions sont désavouées, la population est à bout, et les forces de l’ordre, en sous-effectif chronique, ne parviennent plus à sécuriser la capitale. À cela s’ajoute une inflation galopante et un chômage de masse qui alimentent le désespoir.
“Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est le symptôme d’un État effondré”, résume un diplomate occidental. “Le Conseil présidentiel doit sortir de son mutisme, engager une vraie concertation nationale, ou il risque d’être balayé par la rue.”
L’appel de Chrisla à la grève générale, bien que paradoxal venant d’un acteur issu du crime organisé, illustre un sentiment national partagé : celui de l’abandon. En se montrant absents ou inefficaces, les dirigeants du CPT creusent chaque jour davantage le fossé entre l’État et la population. Une rupture qui, si elle n’est pas réparée urgemment, pourrait conduire Haïti vers une explosion sociale aux conséquences incalculables